Crise internationale

Universalité de la SDN

En tout cas nous pourrons nous attendre à beaucoup de Conférences diplomatiques, n'osant pas intervenir, ne se résignant pas à laisser le Japon réaliser ce slogan de « l'Asie aux Asiatiques », qui signifie dans son langage, « l'Asie aux Japonais », les Puissances discutent et ne font rien. Le Japon va se livrer dans quelque temps à une grande offensive diplomatique, et le mois de décembre sera sans doute assez employé par lui. C'est que le Japon viole sans cesse le droit, mais ne se résigne pas à l'avouer. C'est ainsi qu'obligé de quitter la Société des Nations dont il violait un peu trop ouvertement le Pacte. Il ne s'est jamais complètement résigné à n'en plus faire partie. Peut-être est-ce un certain complexe d'infériorité, uni à un terrible orgueil national, qui lui fait craindre énormément une flétrissure imposée par les puissances occidentales.

Et ceci nous amène à parler d'une question qu'on pose en général en terme très mauvais : celui de l'Universalité de la SDN. C'est un slogan qui court volontiers : « Amputons la Société de ses clauses coercitives et ainsi nous en réaliserons l'universalité ». La première chose à démontrer serait qu'une Société des nations universelle qui ne serait qu'un concert diplomatique aurait plus de chances de succès qu'une Société restreinte mais forte et solidement coordonnée. Dans l'état actuel du monde, on ne voit pas très bien à quoi servirait ce concert diplomatique... Le Japon, l'Italie, l'Allemagne, la Russie n'en joueraient-ils pas moins leur jeu ? Surtout il faudrait se demander si la suppression des sanctions dans le Pacte de la SDN suffirait à y attirer les nations qui n'en font pas partie, ou qui s'abstiennent d'y paraître.

Prenons ces nations par catégories. Nous trouvons d'abord les petites Républiques d'Amérique Centrale : celles-ci se retirent par attraction de l'abstentionnisme Yankee. Ou simplement parce que vivant très en dehors des grands courants de la vie internationale elles ne voient pas très bien quel intérêt elles ont à demeurer à Genève. Leur maintien ou leur retrait dépend de circonstances passagères, succès d'un ministre, avantage honorifique, etc... Pour elles le maintien de sanctions auxquelles en tout état de cause elles ne participeront pas, ne signifie pas grand chose. L'abolition de l'article 16 du Pacte ne les fera pas revenir.

Nous trouvons ensuite le Japon. Pour le Japon la question est différente. Il désire revenir à la Société des Nations, mais il désire aussi se comporter en forban. Quelque soit la forme de la SDN et fut-elle dépourvue de sanctions, elle ne peut admettre les mitraillages d'ambassadeurs, les destructions sans déclaration de guerre de villes ouvertes et autres choses du même ordre. Par conséquent pour le Japon le maintien ou la suppression de l'article 16 ne signifie rien.

Les États-Unis ? On peut supprimer tous les articles du Pacte qu'on voudra sans les amener à collaborer avec l'Europe. Pour eux la question n'est pas la présence ou l'absence de mesures coercitives. Elle ne l'a jamais été et les fameuses réserves du Sénat ne signifiaient pas une hostilité à tel ou tel article : simplement il avait choisi les points sur lesquels il savait qu'à Genève on ne transigerait pas. Le courant isolationniste demeure très fort aux États-Unis : il signifie purement et simplement la non-coopération avec l'Europe : dans ces conditions la suppression des mesures coercitives ne suffirait certainement pas à ramener les États-Unis à Genève.

Pour l'Allemagne, la question est différente. Elle proteste dans doute contre l'article 16, mais ce n'est point pour elle le centre du débat. Pour elle tout se résume au mot révision. Elle a vu que la Société pourrait lui permettre de changer sa situation internationale ; elle en a fait partie. Elle a eu l'impression que par la Société elle n'obtiendrait plus rien ; elle s'est retirée. Supprimer ou maintenir l'article 16 ne changera rien à son attitude.

Vient enfin l'Italie ! C'est à elle qu'on pense toujours en parlant de supprimer l'article 16 du Pacte, et on étend son cas aux autres  États non-membres, sans voir le simplisme d'une telle confusion. Mais abolir les clauses coercitives du Pacte ramènerait-il l'Italie ? Nous ne le pensons pas. Sa presse l'a trop souvent répété, la suppression de l'article 16 ne suffirait pas à lui faire occuper son siège à la Société. Il faut bien voir l'attitude de l'Italie, telle que l'exposait Pertinax dans l’Écho de Paris, il n'y a pas extrêmement longtemps. L'Italie cherche à avoir des griefs pour exercer ensuite des revendications. C'est toute sa politique.

Nous avons tenu à exposer tout au long cette question pour bien montrer à nos lecteurs ce qu'ont d'artificiel et de vain les slogans qui circulent un peu partout, des autobus aux salons, et la plupart des articles de presse. Rien de ceci ne résiste à un peu de réflexion. Et pourtant il ne semble pas difficile de comprendre que la crise actuelle de la vie internationale n'est pas la crise de telle ou telle institution. C'est tout autre chose, une terrible crise morale. Nous traversons une phase de non-coopération internationale. Une phase où triomphe l'esprit de violence, le goût des révolutions brutales, la haine.  Contre ceci nous pouvons beaucoup. Nous pouvons redresser quelques-uns de ces jugements tout faits, nous pouvons détruire un peu ces formules dans lesquelles s'enferment les esprits. N'oublions surtout pas que ce dont nous souffrons, c'est une crise de l'esprit de paix. Or l'esprit de paix c'est à chacun de nous à l'avoir. Esprit de paix dans le domaine international, mais aussi un esprit généralement orienté vers la paix. La paix appelle la paix, et si nous l'avons fait entrer dans notre cœur, si nous l'avons établie dans notre maison, dans notre cité, elle rayonnera. La paix c'est la tranquillité de l'ordre : il n'y a d'ordre que si chaque chose est à sa place, chaque pensée bien orientée. Ne disons donc pas devant les orages qui se lèvent : « Qu'y pouvons-nous ? » Nous pouvons réaliser la paix, et même si nous ne la réalisons pas nous aurons témoigné pour elle et mériterons l'appel des Béatitudes : « Beati Pacifici, bienheureux les faiseurs de paix, le Royaume des Cieux est à eux ! »

Note : Nous signalons sur cette question un excellent article de Chamine, dans le Jour du 27 octobre 1937, Ceux qu'on massacre, ce ne sont pas des sauvages. Remarquons simplement qu'on aurait pas le droit non plus de massacrer ainsi des sauvages !!!